Retraite : la face cachée du projet
Toujours perdants ! Sous prétexte d’universalité, le projet de loi se révèle purement budgétaire. Le flou demeure sur le montant des pensions et l’âge de départ. Ce qui se préparait est confirmé : travailler plus longtemps pour gagner moins !
Une vision autoritaire de la démocratie
APRÈS AVOIR MÉPRISÉ la majorité de l’opinion publique et les organisations syndicales, ce sont aujourd’hui les parlementaires que le gouvernement veut mettre à sa botte. Beaucoup de dispositions du projet sont renvoyées à des ordonnances ou à des décrets. Les parlementaires voteront-ils un texte à trous ?
Le Conseil d’État a émis un avis des plus critique et demande au gouvernement de revoir sa copie. « Les projections financières restent lacunaires », en particulier sur la hausse de l’âge de départ à la retraite, le taux d’emploi des seniors, les dépenses d’assurance-chômage et celles liées aux minima sociaux. Une étude d’impact « bidonnée », aucune trajectoire financière crédible et encore moins de simulations individuelles, alors que les « concertations » avec les organisations syndicales durent depuis deux ans.
Et de rajouter : Une « situation d’autant plus regrettable » qu’il s’agit d’une réforme « inédite depuis 1945 et destinée à transformer pour les décennies à venir […] l’une des composantes majeures du contrat social ».
En bref : faites nous confiance, on s’occupera de tout…
à‚ge légal, minimal, pivot, d’équilibre : on nous enfume !
LE VÉRITABLE BUT du gouvernement est de rendre inopérant le droit au départ avec une retraite complète à l’âge légal de 62 ans.
Comment compte-t-il s’y prendre ? Certes, le texte maintient l’existence de l’âge légal à 62 ans, mais fixe un âge d’équilibre (ou pivot) accompagné d’un système de décote si vous ne l’atteignez pas. Un âge d’équilibre qui, soit dit en passant, évoluerait à la hausse pour prendre en compte l’augmentation de l’espérance de vie.
Ainsi, en 2027, si vous partez à 62 ans, l’âge pivot étant fixé à 64 ans, votre pension sera amputée d’une décote de 5 % par année manquante – soit 10 % de décote.
Dès 2037, pour un départ à 62 ans, l’âge pivot sera alors de 65 ans pour une même décote de 5 % par an, donc une décote de 15 %.
Et ainsi de suite… L’âge d’équilibre devant progresser au rythme de : trois ans d’espérance de vie supplémentaire en moyenne = deux ans de travail de plus !
Une décote pour combien de temps ? Pour toute la durée de sa retraite.
Entre 2022 et 2027 : deuxième enfumage ! L’âge pivot (64 ans) est suspendu le temps de la conférence des financements (février à avril 2020) censée trouver d’autres solutions. Mais gouvernement et patronat refusent l’augmentation des cotisations sociales, donc une seule issue : décote définitive dès 2022, entre 62 et 64 ans.
Finalement, un système volontairement illisible pour mieux cacher que tout le monde devra travailler plus longtemps dès la génération née en 1960 et dans tous les secteurs professionnels.
La CGT propose le retour à une retraite à taux plein à 60 ans.
C’est quoi une carrière complète ?
LE FLOU a régné pendant des mois… Personne au gouvernement ne répondant à la question simple : c’est quoi une carrière complète ? Le voile est maintenant levé et l’on comprend mieux pourquoi cette gêne. En effet, le texte du projet de loi définit comme « carrière complète » une durée d’activité de 516 mois (soit 43 années de travail) à compter de la génération 1975. Une confirmation que la pension serait calculée sur la totalité de la carrière et qu’elle serait de toute manière plus basse qu’aujourd’hui.
Double peine : le niveau de pension est très aléatoire dans un système à points tel que voulu par le projet Macron. Le nombre de points pour avoir une année complète serait très incertain. En effet, l’acquisition de points dépendrait de l’évolution du salaire, de la valeur d’acquisition du point (rapport entre nombre de points et niveau de salaire) et du taux de rendement du point qui lui sera fixé par le gouvernement… Il est même à prévoir que pour deux salariés d’une même entreprise au même salaire, le nombre de points acquis soit différent. Et on vous avait dit égalité et justice sociale ?
La nature de son travail et sa situation familiale auraient des conséquences très négatives sur les points à obtenir pour valider une année complète. Tous seraient concernés, mais les salariés précaires ou à temps partiel, les chômeurs, les femmes en congé maternité seraient les premières victimes de ce système. Ils n’auraient assurément pas la totalité de leurs points et devraient soit travailler plus longtemps, soit se contenter de plus petites pensions. Les 1 000 euros (montant en dessous du seuil de pauvreté) promis par Macron sont un leurre pour de très nombreuses personnes car il faudrait justement avoir une carrière complète (43 ans travaillés). Aujourd’hui, celles et ceux qui y ont droit ont 950 euros. Cela ne changera rien pour eux si ce n’est de n’avoir plus que le minimum vieillesse (868 euros). Cela sera également le cas pour la majorité des personnes en situation de handicap, grands perdants eux aussi dans cette contre-réforme à points.
Suède – Le contre-modèle
Près de 16 % de personnes âgées de plus de 65 ans vivaient en Suède sous le seuil de pauvreté en 2017, selon Eurostat, soit plus du double qu’en France ! C’est l’une des conséquences majeures de la mise en place d’un système de retraites à points en Suède il y a déjà plus de vingt ans. Dans le pays, où l’intégralité de la carrière est prise en compte pour le calcul du montant de la retraite, le niveau de pension a chuté pour s’élever aujourd’hui à 53 % du salaire de fin de carrière contre 60 % en 2000. La valeur du point y a baissé à plusieurs reprises, en fonction de la conjoncture : de 3 % en 2010, de 4,3 % en 2011 et de 2,7 % en 2014, ce qui a évidemment entraà®né une baisse des pensions. Le système des retraites à la suédoise, c’est encore l’ex-Premier ministre Gà¶ran Personn qui en parle le mieux : « Nous avons le meilleur système de retraites au monde, avec le seul petit défaut qu’il donne des pensions trop basses. » C’est ballot !
Pénibilité : un marché de dupes
LA MOBILISATION a obligé le gouvernement à afficher sa volonté d’aborder la question de la pénibilité. Mais une fois les micros et les caméras éteintes, l’objectif affiché est bien de supprimer toute retraite antérieure à 60 ans, voire à 62 ans.
Déjà , en 2017, ce gouvernement a supprimé une partie des critères existants (le port de charges lourdes et les postures de travail pénibles ou l’exposition aux risques chimiques par exemple). Il cherche aujourd’hui à faire croire qu’il va améliorer les conditions de travail des salariés. En réalité, et malgré les discours rassurants, il confirme la suppression de tous les départs anticipés (Fonction publique, SNCF, RATP, Opéra de Paris, industries électriques et gazières ou tout autre régime) et ne souhaite pas créer de nouveaux droits réels pour les salariés du privé.
Le dispositif existant n’a permis qu’à seulement 3,5 % de salariés du privé d’accéder à un compte prévention pénibilité (C2P). Un dispositif qui, quand le salarié y a accès, n’ouvre quasiment aucune possibilité de partir avant 62 ans, sinon en étant déjà malade. Les seuils d’exposition au travail de nuit, par exemple, même ramenés de 120 à 110 nuits par an, conduisent à multiplier le nombre de nuits travaillées pour espérer partir plutôt… sans jamais y parvenir en bonne santé…
La CGT affirme que la meilleure faà§on de prendre en compte la pénibilité consiste à généraliser les critères de départs anticipés existants dans le public à tous les métiers pénibles dans le privé. Il suffit de comparer : en 2017, 800 salariés du privé sont partis au titre de la pénibilité au travail contre 31 000 départs au titre du « service actif » dans la Fonction publique.
La CGT demande l’ouverture d’une négociation globale sur la pénibilité et cela est possible en gardant le système de retraite actuel et en retirant le système à points. Elle revendique un départ anticipé jusqu’à cinq ans avant 60 ans, avec un trimestre en moins par année d’exposition, et jusqu’à dix ans pour certains métiers. Le taux plein doit être garanti pour permettre un véritable droit au départ anticipé.
Pas vraiment solidaire
DANS LE SYSTÈME ACTUEL, 93 % des retraités bénéficient de la solidarité dans leurs droits à retraite (pour les enfants, prendre en compte les petits salaires, le chômage ou le décès d’un conjoint…).
Actuellement, si vous subissez une période de chômage, vous bénéficiez de trimestres que vous soyez indemnisé ou non. Qui plus est, le mode de calcul de la pension, calculée sur les meilleures années, neutralise les plus mauvaises années, diminuant ainsi l’impact des accidents de parcours sur son montant.
Dans le cadre du projet de loi, ce mécanisme solidaire disparaà®t. Il serait remplacé par attribution de points dits de « solidarité ».
Mais combien de points ? Ce sera très peu si l’indemnité chômage est faible…
Et si vous n’êtes pas indemnisé ? Vous n’aurez droit à RIEN (avec la mise en oeuvre de la réforme de l’assurance-chômage, 1,3 million de personnes seront pénalisées) !
De la même faà§on, les travailleurs précaires seront aussi touchés… Ainsi, après une vie de travail précaire, pour la plupart ils auront droit d’être des retraités dans la précarité !
Pension de réversion : ses yeux pour pleurer !
Dans la plupart des cas, le conjoint survivant est une femme, qui perà§oit un revenu moindre que son mari défunt.
à€ partir de la génération née en 1975, le montant de la pension de réversion serait calculé de faà§on à ce que la veuve perà§oive l’équivalent de 70 % des deux pensions cumulées du couple :
- il faudrait avoir au moins 55 ans pour toucher une réversion provisoire, la définitive étant calculée une fois que la veuve ou le veuf a liquidé ses droits à retraite ;
- le mariage devrait avoir duré deux ans minimum, ou un enfant devrait être né de cette union ;
- pas de remariage possible ;
- ne pas avoir divorcé après 2025.
« Chacun est responsable de ses parcours de vie. Tu as fait le mauvais choix de boulot, tu as fait le mauvais choix de mec, tu assumes. Ce n’est pas à l’État d’arranger tes problèmes. »
Ça vous choque ? C’est pourtant la philosophie de cette réforme.
Comment satisfaire les appétits des assurances
PLANTONS LE DÉCOR : 314 milliards d’euros, c’est la part des richesses consacrée aux retraites aujourd’hui. De quoi ouvrir des appétits, non ? Le projet de loi prévoit de plafonner des cotisations et des droits à la retraite aux salaires jusqu’à 10 000 € par mois contre 27 000 € aujourd’hui. Ainsi, les salariés ayant un revenu supérieur à ce plafond ne seront assujettis qu’à 2,8 % de cotisations au titre du financement de la solidarité. Conséquences : Ces salariés ne cotiseraient plus sur la totalité de leur salaire pour notre système solidaire. Un manque à gagner de 6 milliards par an qui aura des conséquences immédiates sur l’équilibre financier des complémentaires (Agirc).
Pour bien préciser l’objectif de ce projet de loi, son article 64 lance un appel au « secteur de l’assurance » à « se mobiliser » pour « généraliser » et « renforcer l’attractivité » des plans d’épargne retraite privés. Le gouvernement offre ainsi plus de 70 milliards d’euros à capitaliser aux fonds de pensions.
Qui sont les perdants ? D’abord, un grand nombre de cadres renvoyés vers la capitalisation pour maintenir leur niveau de pension sans garantie de récupérer leur épargne… Mais surtout le système de retraite dans son ensemble, privé de milliards d’euros de ressources… Et au bout du compte tous les salariés.
Pas besoin de vous faire un dessin : sortir 10 % des cadres du système par répartition est tout sauf une mesure de justice sociale. Plus sûrement un appel d’air pour généraliser, à terme, la capitalisation !
Les revendications de la CGT
- Un départ à la retraite à 60 ans à taux plein et un revenu de remplacement à 75 % du revenu net d’activité (calcul sur les 10 meilleures années ou les 6 derniers mois), minimum le Smic
- Comptabiliser les années d’étude et de précarité chez les jeunes
- Prendre en compte la pénibilité des métiers et étendre les dispositifs de départ anticipé existants
- Indexer les pensions sur les salaires et non sur les prix
Y a-t-il urgence budgétaire ?
NON ! Pour que le régime soit à l’équilibre, il faut 12 milliards d’euros d’ici à 2025. Cela ne représente que 0,5 point de PIB (richesses produites) : pas de quoi s’affoler. Le fonds de réserves des retraites créé en 2001 est doté de 30 milliards d’euros. Si nous y ajoutons les réserves de tous les régimes, ce sont 150 milliards d’euros de réserves qui sont immédiatement disponibles. Notre système actuel n’est donc pas en péril.
S’il faut de l’argent, il y en a !
Pendant que les discours du gouvernement nous appellent à accepter de faire des efforts pour redresser le pays, les finances des entreprises se portent bien. Les grands groupes du CAC 40 ont versé 60,2 milliards d’euros à leurs actionnaires en 2019, soit 12,3 % de plus qu’en 2018. Un record qui place la France sur la plus haute marche du podium en Europe.
Des efforts pour les uns et des cadeaux pour les autres : Les exonérations de cotisations patronales se sont élevées à 90 milliards selon la Cour des comptes. Entre 2013 et 2019, cela a représenté 26 milliards du fait de la mise en œuvre du « pacte de responsabilité »… à€ elle seule, la transformation du CICE en baisse de cotisations a représenté 18 milliards d’euros, sans que la preuve soit apportée sur l’efficacité de ces dispositifs sur l’emploi. Pour ne prendre que les plus significatives.
Le dernier rapport d’Oxfam sur les inégalités révèle que les milliardaires franà§ais ne se sont jamais aussi bien portés. Ils sont 41 en France et leur fortune a augmenté de 34,8 % depuis le 31 décembre 2018, plus que partout ailleurs dans le monde. Leur richesse cumulée s’élève à 329,9 milliards de dollars. Dans le même temps, 400 000 personnes supplémentaires en France ont basculé sous le seuil de pauvreté. La France compte désormais 9,8 millions de pauvres.
Financement – La CGT fait des propositions : agir sur plusieurs leviers
Emplois
Dans un système à répartition, la retraite c’est d’abord une question d’emploi, car le nombre d’actifs conditionne le montant des cotisations. La promesse du président Macron est de ramener le chômage à son taux d’avant crise. Cela représente 2,4 % d’emplois en plus, soit environ 9 milliards de cotisations supplémentaires et 7 milliards d’économie sur l’assurance chômage. Gain total : 16 milliards.
Salaires
Augmenter les salaires, c’est plus de cotisations sociales :
1 % d’augmentation de la masse salariale dans le privé c’est 3,6 milliards de cotisations en plus et 5 % c’est 18 milliards. Sans parler de la revalorisation immédiate de la valeur du point d’indice dans la Fonction publique. Par ailleurs, l’égalité salariale et professionnelle entre les femmes et les hommes rapporterait 6,5 milliards d’euros en plus pour la Sécurité sociale. L’égalité femmes-hommes, c’est bon pour tous !
Cotisations
Augmentation des cotisations : entre 0,2 et 0,4 point par an, on assure la pérennité du système : c’est en moyenne une augmentation de 1,60 € par mois pour les travailleurs et 2,40 € pour les employeurs.
Exonérations
Remettre en cause les exonérations de cotisations patronales qui ne profitent pas à l’emploi et tirent les salaires vers le bas. Plus votre salaire est près du Smic, plus votre employeur est exonéré : à qui à§a profite ? On a fait quelques calculs : si on les divise par deux, c’est 45 milliards de recettes en plus. Si on les supprime pour les entreprises du CAC 40 – qui se portent apparemment plutôt très bien – c’est au minimum 5,5 milliards en plus.
Dividendes
Alors que la France bat des records en distribution de dividendes, taxer les profits financiers rapporterait 30 milliards par an.